Si la Seine-Maritime est un département, la Seine-Fluviale n'en est pas un : donc la réponse ne se situe pas sur le plan administratif. On pourrait alors imaginer que le distinguo entre Maritime et Fluviale provient de l'influence des marées sur le niveau d'eau de la Seine...
Quelle est la différence entre la Seine Maritime et la Seine Fluviale ?
Ce qui fondamentalement n'est pas idiot puisque le niveau de la Seine est influencé par les marées jusqu'à Poses, soit 40 km en amont de Rouen : soit également la première écluse quand on remonte la Seine depuis son embouchure. Mais ce n'est pas non plus cela l'explication...
Photo : © Google Maps
Aussi bizarre que cela puisse paraître ce distinguo entre Maritime et Fluviale relève de l'autorité qui gère la navigation sur la Seine. Mais comme les choses bizarres sont rarement des exceptions ici-bas, la seconde chose à savoir, et qui peut surprendre le néophyte, est que l'autorité portuaire de Rouen (et par voie de conséquence l'influence du Grand Port Maritime de Rouen) s'étend de l'embouchure de la Seine, soit Honfleur en rive gauche, jusqu'à cette fameuse frontière entre Seine Maritime et Seine Fluviale.
En face sur l’embouchure, en rive droite, c'est l'autorité portuaire du Havre qui gère le port du Havre, cela va de soi, mais aussi la navigation fluviale sur le canal qui relie le pont de Tancarville au Port du Havre. Ce canal permet à la navigation fluviale sur la Seine d'arriver jusqu'au Havre sans avoir à affronter les éléments maritimes qui nécessitent des spécificités techniques particulières pour éviter les accidents et autres "faits divers" : la hauteur de franc-bord est un des premiers facteurs différenciant une péniche d'un navire (maritime).
Donc en pratique, un navire entre sous le contrôle de l'autorité portuaire de Rouen dès qu'il franchit l'entrée de la Seine dans son estuaire. Il en va de même pour les navires, bateaux de rivière et péniches qui sortent du port d'Honfleur. Une péniche qui quitte Le Havre par le Canal du Havre à Tancarville quitte l'autorité portuaire du Havre à sa sortie des écluses de Tancarville en aval du pont de Tancarville et repasse sous l'autorité portuaire de Rouen. La zone d'influence du Port de Rouen commence donc à Honfleur en rive gauche et à Tancarville / Radicatel en rive droite. Mais où s'arrête-t-elle ? Je vous donne un indice sous forme d'image.
Photo : © Tours-in-Normandy.fr
Avant la construction du pont levant autoroutier Gustave-Flaubert ci-dessus, le pont qui faisait office de frontière entre la Seine Maritime et la Seine Fluviale était le premier pont sous lequel la navigation maritime ne pouvait pas passer : soit le pont Guillaume le Conquérant, qui historiquement permettait de faire arriver la route nationale RN 138 au cœur de Rouen avant même que ne soit construit l'A13, puis sa bretelle de sortie (A138) en direction de Rouen.
Photo : © Tours-in-Normandy.fr
Sur le papier, le pont Guillaume le Conquérant est resté cette frontière puisque comme son nom l'indique, le pont levant Gustave Flaubert permet de laisser passer un trafic maritime. Mais dans les faits, le nombre de fois à l'année où ce pont est actionné fait de lui dans le quotidien la nouvelle frontière entre Maritime et Fluviale. Heureusement que l'Armada a lieu de temps en temps pour nous rappeler qu'il se lève ! !
Photo : © Google Maps
Construit entre 2004 et 2008, il est donc historiquement le dernier pont à avoir été construit au-dessus de la Seine entre Rouen et Le Havre. S'il n'appartient pas à la catégorie des ponts au format maritime de prime abord, il est pourtant capable de laisser passer des navires lorsque nécessaire.
Entré en service le 25 septembre 2008, sa longueur totale est de 670 mètres. La partie centrale qui peut se lever mesure quant à elle 120 mètres de long et est constituée de deux tronçons de circulation distincts de 18 mètres de large chacun, pour un poids unitaire de... 1 300 tonnes. Soit 2 x 1300 tonnes en 120 mètres de long par 18 de large pouvant atteindre une hauteur de 55 mètres au-dessus du niveau de la Seine à marée haute. Les doubles piles de pont culminent donc chacune à 85 mètres de hauteur ce qui en font le troisième édifice le plus haut de l'agglomération de Rouen après les tours de la Cathédrale Notre-Dame ainsi que la tour administrative Saint-Sever.
Une fois n'est pas coutume, et à l'image de ses trois prédécesseurs, le pont Gustave-Flaubert est entré dans le Livre des Records lors de sa mise en service en 2008 en tant que "plus haut pont levant autoroutier" au monde. Record qu'il semble toujours détenir, contrairement à ses prédécesseurs déchus. Mais à quels prix : 137 millions d'Euros de devis total avec les rampes d'accès de part et d'autre, 1 million d'Euros annuel de frais d'entretien pour ne se lever quasiment qu'à l'occasion de l'Armada... Même si en 12 minutes ! !
Mais pour ces prix ci-dessus énoncés, il y a quand même des aspects positifs : étudier pour détourner le trafic routier qui arrivait précédemment directement dans le centre de Rouen, son estimation initiale de trafic était de 50 000 véhicules par jour incluant un quart des 190 000 camions quotidiens qui transitaient par les autres ponts de Rouen précédemment. En 2017, la barre des 60 000 véhicules / jour a été dépassée, conséquence logique de l'entrée en service en février 2015 de la jonction autoroutière A150. Cette jonction A150, longtemps monstre du Loch Ness, permet de relier Rouen à Yvetot par l'autoroute, en déchargeant l'historique D6014 (continuité de la RN14 Paris / Rouen) qui permettait de faire Rouen / Le Havre par le nord de la Seine, à travers le Pays Cauchois.
Jusqu'à l'entrée en service de cette A150, pour relier Rouen et Le Havre, le chemin le plus rapide consistait à prendre l'A13 au sud de la Seine (rive gauche) alors que Le Havre et Rouen se trouvent toutes les deux en Rive Droite ! (au nord de la Seine)
Que ce soit sur la Seine Maritime ou la Seine Fluviale, les navires doivent prendre un pilote français au fait des règles de navigation Maritime et Fluviale, des spécificités de la Seine liées à ses méandres, ses courants d'eau (et ses courants d'air !) quelle que soit leur destination, du moment qu'il jauge plus de 500 tonneaux. Dans la pratique, il y a des subtilités liées à la nature du navire. En effet le pilotage maritime est très encadré au plan national comme au plan international (OMI). Par contre, le "pilotage fluvial" l'est beaucoup moins, la faute à une raquette législative trouée : les deux seules obligations non discutables, parler français avec les autorités en charge de la navigation (article 6 du décret 91-731 du 23/07/1991) et être détenteur d'un titre fluvial de conduite approprié reconnu par l'Etat français.
Photo : © Vessels-in-France.net
Pour remonter jusqu'à Rouen depuis l'embouchure il faut compter environ 5 à 8 heures (fonction de la vitesse du navire et de sa manœuvrabilité en eau douce) et deux pilotes : la station à mi-chemin se trouvant à l'aval du Pont de Brotonne. Pour les navires qui souhaitent remonter au-delà du pont Gustave-Flaubert, ils embarquent un pilote fluvial à Rouen à destination de l'amont de Rouen. Bien évidemment, le format maximal fluvial de la Seine ne permet pas à n'importe quel navire de remonter la Seine au-delà de Rouen. Les restrictions de gabarit sont de trois ordres :
- La dimension des écluses, ou plus exactement leur largeur. Entre Rouen et le nord de Paris (Gennevilliers) il y a cinq écluses avec une largeur maximale disponible de 11,50 m.
- La seconde restriction de gabarit concerne le tirant d’air, c’est-à-dire la hauteur totale disponible entre le niveau d’eau de la Seine et le dessous des traverses des différents ponts : entre Rouen et Gennevilliers, le tirant d’air est de 7,50 m. [Ce qui est très loin des tirants d’air des ponts maritimes avant Rouen : 60 mètres ! !]
- Enfin, le tirant d’eau qui, sur un réseau fluvial est largement inférieur à un réseau maritime : entre l’embouchure de la Seine et Rouen, le tirant d’eau est de 10,30 m ; à partir de Rouen et jusqu’à l’aval de Paris, le tirant d’eau disponible est de 4 m.
La Seine, « réseau fluvial à Grand Gabarit », cela signifie en pratique un matériel utilisable indifféremment du Havre à Compiègne en bifurquant à Conflans-Sainte-Honorine ou du Havre à Montereau-Fault-Yonne si on continue tout droit à Conflans : soit 180 x 11,5 x 4 m. Au-delà des destinations / limites suscitées, les dimensions des écluses sont le principal obstacle, ou plus exactement, la non harmonie du réseau au-delà de ces points pose problème.
Photo : © L. Régnier - éditeur
Sur la Seine au-delà de Montereau, la largeur des écluses tombe à 9,5 mètres tandis que sur la Marne on tombe à 7,6 mètres. Pire si on continue vers la Bourgogne et ses chais, on tombe sur des écluses de 5 mètres de large…et de 38,5 mètres de long soit l'historique format Freycinet (image ci-dessus).
Une fois que vous avez marié tous ces paramètres, vous vous apercevez que la proportion de navires capables d’emprunter le réseau fluvial français est extrêmement maigre et peu en phase avec la réalité. En moyenne, les fluvio-maritimes qui remontent la Seine au-delà de Rouen excèdent très rarement les 100 mètres de long alors que la Seine est dite à Grand Gabarit fluvial jusqu’à l’amont de Paris (Montereau-Fault-Yonne) : c’est-à-dire que les convois fluviaux maximal autorisés sont de 180 m de long par 11,50 m de large, 4 m de tirant d’eau, 7,5 m de tirant d’air ce qui nous fait au total en moyenne une capacité exploitable de transport de 3 200 tonnes déplacées en une fois. Un rapide calcul de conversion nous donne :
- 107 camions de 30 tonnes qui disparaissent de nos routes soit 1,8 km de camions en file indienne !
- 36 wagons tombereaux de 90 tonnes d’emport unitaire soit un train complet de marchandises avec 2 locomotives minimum contre un unique pousseur fluvial !
Pour rappel, 1 km d'autoroute coûte en moyenne 6,2 millions d'Euros à construire !
Mais TOUS les ans, 1 km d'autoroute coûte de 70 000 à 100 000 Euros en entretien, fonction de sa fréquentation. Coûts auxquels il faut ajouter les coûts de surveillance (patrouilleurs, vidéo-surveillance) ainsi que les coûts d'intervention des services d'urgence. Pour rappel également, en France, un conducteur de patrouilleur sur autoroute est victime d'un accident tous les 3 jours ! (Chiffres issus de SETRA)
Côté temps de navigation il faut compter :
- 20 heures pour relier Le Havre au Port de Paris Terminal Gennevilliers à l’aval de Paris en convoi fluvial, un axe devenu stratégique en matière de report modal du transport par conteneur
- 44 heures pour relier Nogent-sur-Seine à Rouen, un autre axe stratégique mais dans le domaine des céréales ce coup-ci.
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