Depuis l'entrée en vigueur de la réglementation IMO III, l'immense majorité des navires utilisant du fuel lourd doivent être équipé d'un système de filtration des gaz d'échappement de leurs moteurs de manière à respecter les nouvelles normes de rejets des polluants dans l'air : NOx, SOx et COV.
La Propulsion Vélique
Historiquement, dans la marine marchande, la dernière énergie propre a avoir été utilisée était la voile, appelée scientifiquement propulsion vélique.
La propulsion vélique a été remplacée par une source stable d'énergie, le charbon, qui, en brulant fabriquait de la vapeur à partir d'eau et servait à faire fonctionner une machine qui utilisait la pression générée par l'élévation de la pression due à la transformation de l'eau en vapeur. On sait aujourd'hui que la combustion du charbon produit des fumées nocives et pour l'Homme et pour son environnement.
La propulsion grâce à la vapeur a ensuite été remplacée par des moteurs diesel, qui fonctionnent dans le maritime au fuel lourd, c'est-à-dire un carburant encore moins raffiné (moins pur) que le carburant diesel des véhicules terrestres. Donc encore plus polluant et illustré sur nombres de cartes postales, films et autres images du siècle dernier (et des deux premières décennies du siècle en cours), par d'épaisses fumées noires au-dessus des cheminées.
Le quota propulsif d'une énergie, indicateur clef dans le transport maritime
Devant l'impératif grandissant de trouver des énergies dites "propres", tous les secteurs de l'économie sont voués à trouver une énergie de remplacement moins polluante que celles qui sont en place aujourd'hui. Dans le transport en général et dans la marine en particulier, les 3 principaux facteurs à prendre encompte dans cette recherche d'une nouvelle énergie sont les distances immenses à parcourir (voyages intercontinentaux), le poids du navire en lui-même (plusieurs dizaines / centaines de milliers de tonnes) et la capacité d'emport (nombre de passagers pour la croisière, nombre de conteneurs, poids ou volume de la marchandise pour le vrac, etc...).
Malheureusement, le maritime n'a pas encore trouvé en matière de propulsion une énergie capable d'égaler le quota propulsif de l'énergie carbonée. Donc, en attendant un plus qu'hypothétique retour à la propulsion vélique, l'immense majorité des navires en service (99,7% en 2017) de la flotte mondiale et fréquentant des eaux aux rejets atmosphériques réglementés (et fonctionnant au fuel lourd) se voit obligée de se doter de "scrubbers", un système de filtration inséré entre la sortie des tuyaux d'échappement du moteur et les cheminées apparentes du navires. Comment cela fonctionne-t-il ?
Comment fonctionne un "scrubber" ?
Un "scrubber" est une chambre capable de supporter une pression comprise entre 150 et 200 bars au sein de laquelle fonctionnent simultanément plusieurs systèmes destinées à "laver" les gaz dégagés par la combustion du moteur fuel lourd. Ce lavage se fait d'abord avec de l'eau claire et ensuite avec un additif à base de glycol.
Les "scrubbers" devant être insérés dans la ligne d'échappement des gaz de combustion, ils se trouvent entre le moteur et les sorties apparentes des cheminées d'un navire. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, un "scrubber" pèse tout de même entre 15 et 20 tonnes. Et sur les navires à passagers, il n'y a guère de place ailleurs que le plus haut possible près de la sortie finale des cheminées. L'installation des "scrubbers" a donc un impact non négligeable sur la stabilité des navires. Lorsque les navires sont équipés d'un système de calcul automatique, il n'y a d'autre option qu'une reconfiguration de celui-ci, une fois l'échappement du navire modifié.
Sur un ferry classique, on estime que les "scrubbers" piègent environ 500 tonnes de CO² (gaz carbonique) à l'année. Sur un porte-conteneur de dernière génération, on estime cette même capture à plus de 2 000 tonnes à l'année. Un "scrubber" est donc bon pour l'environnement, puisqu'il limite les rejets de gaz à effet de serre. Mais il est aussi bon pour la santé humaine et pas seulement, puisqu'il piège aussi :
- les rejets de souffre (SOx)
- les rejets d'oxyde d'azote (NOx)
D'où la promulgation de lois au niveau européen destinées à protéger la santé des hommes en plus de la protection de l'environnement en instituant des zones SECA. A ce sujet, lire l'article 'C'est quoi une zone SECA ?'.
Le "scrubber" ne reste qu'une solution d'attente
Mais dans la pratique, la mise en place de "scrubbers" n'est qu'une solution alternative en attendant une solution bien plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique. En effet, les études ont montré que les "scrubbers" ne captent qu'environ 20% des rejets de CO² des navires : ce qui est très insuffisant pour espérer endiguer la décroissance de la qualité de l'air que nous respirons quotidiennement.
Pire, la non harmonisation des législations aux quatre coins de la planète permet de voir apparaître des "scrubbers" dits "à boucle ouverte" : ce qui signifie ni plus ni moins que le soufre capturé par dizaines de tonnes par le système des "scrubbers"est rejeté directement dans la mer, sans obligation de stockage à bord en vue de la destruction / du recyclage à terre. Conséquence directe : une acidification accélérée des océans déjà mal en point.
Quelles alternatives au gazole pour le transport maritime ?
Certains armateurs se sont alors tournés vers une autre énergie fossile considérée à tort comme moins polluante : le GNL (ou Gaz Naturel Liquéfié).
Pourquoi considère-t-on le GNL comme moins polluant ?
Parce que contrairement au gazole / fuel lourd, il n'y a pas de rejet de suie lors de sa combustion, ni de poussière et ni de fumée. Et la combustion du GNL produit 20% de moins de CO² lors de sa combustion que le fuel lourd / gazole maritime. Sur ce point précis des rejets de CO², un navire équipé de scrubbers ou un navire carburant au GNL font à peu près jeu égal en matière de rejet de CO². Mais la comparaison s'arrête là.
En effet, les autres points négatifs du GNL ne manquent pas :
- en tant qu'énergie fossile, même si sur la même distance parcourue par le navire, le GNL émet moins de CO² (20%), il en poduit tout de même (80%),
- en tant qu'énergie fossile, le GNL est, comme le pétrole, en quantité limitée sur Terre. A l'image du pétrole, certains champs d'extration sont faciles d'accès et ne nécessitent pas un lourd recourt au pétrole pour l'extraire, mais à l'image du pétrole, plus on consommera de GNL, plus il faudra aller le chercher dans des endroits difficiles d'accès. On ne parle même pas du gaz de schiste, qui par un recours abusif à l'eau, est un non sens écologique de premier plan.
- le GNL comme son nom l'indique est un gaz liquéfié et c'est précisément son processus de liquéfaction qui est un très très gros consommateur d'énergie.
- les études menées dans le cadre de la recherche de ressources alternatives au fuel lourd ont montré que les réserves "accessibles" en GNL seraient épuisées au plus tard en 2070.
Le seul point positif de la conversion du transport maritime fuel lourd pour le GNL, c'est que la technologie embarquée à bord des navires GNL est la même pour passer ultérieurement au bio-GNL, autrement appelé bio-méthane. Le bio-GNL est un gaz obtenu à partir de déchets, donc beaucoup moins polluant, sans comparaison aucune, avec l'actuel GNL d'origine fossile. Mais toute la filière est quasiment à construire...
Ce qui ne résout nullement notre incapacité à consommer MOINS d'énergie année après année !
Quelles sont les autres alternatives ?
Aujourd'hui il n'y en a pas : le quota propulsif du fuel lourd / gazole marin / gazole terrestre est inégalé, autant sur mer que sur terre.
Par contre, il y a nombre d'options à exploiter en parallèle :
- diminuer la vitesse des navires permet de réduire drastiquement la consommation : de 20 à 50% selon les relations maritimes en question,
- mieux exploiter les courants maritimes de manière à ce que les navires se "laissent porter", quitte à parcourir une plus longue distance mais en polluant moins,
- avoir recourt à l'énergie vélique en complément. Des sociétés comme la française Airseas ou l'allemande SkySails travaillent à la fabrication d'un système de déploiement automatique d'une voile au format "kite surf" pour bénéficier des vents d'altitude naturellement disponibles au-dessus du navire. Avec à la clef une diminution annoncée de la consommation d'au moins 20% ou autrement dit, équivalant à 2 MW de la puissance motrice du navire.
Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, les résistances au changement sont fortes, quelque soit le domaine concerné. En voici quelques exemples :
- pour l'industrie : des temps de parcourt plus long, mais moins polluant, cela équivaut à un renchérissement du stock d'un point de vue comptable. Alors que les industriels n'ont eu de cesse de faire pression sur les compagnies maritimes pour réduire les temps de transport et fiabiliser les dates d'escales, leur imposant de faire disparaître de la réalité économique un risque pourtant bien naturel depuis la nuit des temps : le risque maritime (tempête, grève, abordage, etc).
- pour les compagnies maritimes, réduire la vitesse commerciale des navires signifie réduire la puissance des moteurs embarqués. Ce qui n'est pas sans conséquence lorsque des monstres de plus de 400 mètres de longs et plus de trente mètres de hauteur se retrouvent pris dans des tempêtes. La baisse de la puissance moteur a déjà été pointée du doigt à maintes reprises par les professionnels du secours en mer. Même notre fleuron national qu'est l'ABEILLE LIBERTE ne pourra empêcher pareil monstre de s'échouer : la tension sur le câble de remorque va au-delà de ce que n'importe quelle matière peut supporter dans pareille circonstance lorsque les éléments sont déchaînés.
- pour les ports, le branchement à quai des navires pour faire disparaître la nuisance atmosphérique lorsque au plus près des hommes peine à émerger dans les pays riches (G7), alors en dehors de ce cercle restreint...
Et ce ne sont que quelques exemples les plus parlants...
Articles connexes :
Dans le maritime, c'est quoi une zone SECA ?
C'est quoi une "escale froide" ?
L'opération de pose de "scrubbers" sur un ferry en images
"Quand l'ABEILLE LIBERTE sort (du port), tout le monde rentre (au port)"
Olivier de KERSAUSON